Textes issus de "Verrières, un village des bords de Seine... et son hameau St-Aventin", de l'Abbé Jean Bonnard.
La voici, surgie devant nous, simple et gracieuse, campée au bord de la route, dans sa vigilance séculaire.
Elle est placée sous le vocable de Saint-Pierre et Saint-Paul, tout comme sa majestueuse mère, la cathédrale de Troyes, dont on peut apercevoir, depuis la route de Daudes, en haut du coteau, la massive silhouette qui se détache sur la toile de fond du ciel. Le colcher qui surmonte le porche d'entrée abrite deux cloches dont l'une donne la note La et l'autre la note Sol. La plus grosse, qui pèse 450 kg, porte l'inscription suivante :
"L'an 1803, j'ai été bénie par M. Antoine Jean Belly, desservant de cette paroisse et nommée Jeanne par M. Edmont Marie Simon de Noël, Verrières, et par Mme Jeanne Lemayer, son épouse."
La seconde, d'un poids de 350 kg, porte l'inscription suivante :
"L'an 1815, j'ai été nommée Anne par M. Claude Jacques André Fariat, notaire et maire de cette commune, et par Mme Anne Alexandrine de Noël, épouse de M. François Gabriel de Noël, propriétaire et maire de la commune de Buchères."
Les archives paroissiales mentionnent ces deux cloches en précisant qu'elles furent "l'oeuvre de J-B. Cochois, demeurant à Clérey et oncle du maire de Verrières".
Avant la construction de la tour, édifiée en 1863, l'église était précédée d'un porche en maçonnerie, appuyé par deux contreforts sur des angles. A la hauteur du toit, sur la façade, il y avait une horloge.
Les archives paroissiales précisent que cette tour fut bâtie "avec le puissant concours de sa Majesté Napoléon III, Empereur des Français" qui fit un don de 4 000 Francs.
La sculpture, à sa manière, est un hymne où la plastique déploie les talents de sa virtuosité avec les formes, les attitudes, les drapés et les expressions de l'oeuvre contemplée.
Pénétrons sous le porche.
Dominant la porte à deux battants qui s'ouvre sur l'intérieur de l'église, un magnifique tympan, sculpté dans la pierre, attirera vos regards et fera l'objet de votre contemplation émerveillée.
La porte est surmontée d'un linteau décoré d'un cep de vigne et semble rappeler que Verrières, autrefois, avait un excellent vignoble sur son coteau... Dans le feuillage, est représentée l'Annonciation à la Vierge par l'Archange Gabriel. Des lys ornent le claveau central de la porte et la paisible scène est protégée par deux angelots prêts à combattre un dragon et un lion.
Le tympan glorifie le couronnement triomphal de la Vierge Marie par la Sainte Trinité.
Dieu le Père, créateur du monde, tenant dans sa main le globe terrestre, est vêtu d'un costume papal et coiffé de la tiare. Le Fils, couronné d'épines, tient la Croix, instrument de la Rédemption. Le Saint-Esprit, à gauche, porte dans sa main une colombe. Les trois Personnes, assises sur un même trône, sont enveloppées d'une seule chape qui les recouvre, cependant que, d'un même geste, elles couronnent la Vierge, agenouillée devant le Père.
La Trinité des Personnes dans l'unité d'une même nature divine, telle est la magistrale leçon de théologie que le génial ciseau de l'artiste a su dégager de la pierre...
Trois consoles supportent l'ensemble du bas-relief.
La première représente Samson endormi sur les genoux de la courtisane Dalila qui lui coupe les cheveux, signe de sa force. La seconde porte un écusson que soutiennent deux anges. Sur la troisième, Samson déchire la gueule d'un lion. Il symobolise ici le Christ qui brisa la gueule de l'enfer dont il ouvre les portes pour délivrer Adam et Eve ainsi que tous les élus attendant sa Résurrection.
Avant l'édification de la tour, le portail était accompagné de deux niches décorées, qui portaient les armes de la Champagne et celle de la famille de Pierre le Clerget et son épouse Edmée de Mauroy, tous deux ayant contribué de leurs largesses à la construction de l'église qui fut commencée dans les premières années du 16ème siècle.
La nef a deux travées voûtées avec nervures simples. Les piliers, avec leur base engagée dans l'épaisseur du mur, laissant supposer l'existence de bas-côtés qui furent supprimés en 1677, lors des travaux de réparation exécutés par les moines de Montier-la-Celle.
Les quatre fenêtres ogivales, qui éclairent cette nef, furent restaurées en 1920. L'une des fenêtres a conservé quelques panneaux de son vitrail. Ils représentent la crucifixion de St-Pierre et lui-même ressuscitant un jeune romain d'une grande famille, en présence de Simon le Magicien, -et d'autre part, St-Pierre délivré de sa prison par un ange.
Sur les faces latérales des murs, on remarques des blasons mutilés dont un, aux armes de François Ier.
La deuxième travée de droite est agrémentée d'une élégante fontaine sculptée à jour qui abrite la statue d'un ange musicien.
La chaire, assez monumentale, date du 17ème siècle. Sur le pilier qui lui fait face, une console supporte une remarquable statue d'un "Ecco Homo", une oeuvre de la célèbre Ecole de sculpture troyenne du 16ème siècle.
La porte latérale qui donne sur le cimetière fut ouverte en 1863.
Dans la chapelle de la Sainte-Vierge, un autel de bois est adossé au chevet du transept nord. Il est surmonté d'un retable de pierre, du 17ème siècle, sur lequel est placée une statue de pierre du 16ème siècle, une Notre-Dame de Pitié.
L'historien Courtalon, en 1784, rapporte "qu'à l'autel de la Vierge est un tableau de l'Assomption, au bas duquel étaient les portraits de deux curés de Verrières, M.M. Poinssot, l'oncle et le neveu. Un de ces portraits a été effacé en 1783 par M. De Pérancy, curé actuel, qui y a fait peindre sa figure à la place..."
Dans cette même chapelle, se trouve encore une statue de Sainte-Cathérine et une autre, très gracieuse d'allure, probablement une Sainte-Syre ; un prophète drapé magnifiquement dans les plis de son manteau, un St-Antoine plein de réalisme.
A la fenêtre méridionale, on voit les larmes d'Odard Hennequin, évêque de Troyes et celles de sa mère Catherine Baillet.
On y voit également les armes d'Odet de Foix, vicomte de Lautrec, qui épousa Charlotte, troisième fille de Jean d'Albert, sire d'Orval, gouverneur de Champagne et de Brie.
Le quatrième blason est celui de Charlotte de Bourgogne, comtesse de Nevers et de Rethel.
La chapelle du transept nord est consacrée à St-Nicolas. Son autel est surmonté d'une très belle Notre-Dame de Pitié, encadrée d'un évêque et d'un abbé, St-Maure, auquel manque la crosse, insigne de sa dignité.
Le Maître-Autel de l'église est surmonté d'un tabernacle en bois, de forme mi-hexagonale, qui s'appuie sur ses angles d'un groupe de colonnes en spirales. Une statuette en bois, Jésus-Christ tenant le bloge terrestre et bénissant, occupe la niche taillée dans la porte du tabernacle.
Sur les faces latérales, deux autres niches abritent les statuettes de St-Pierre et St-Paul, Patrons de l'église.
Le retable est prolongé par deux panneaux de bois peint. L'un reproduit une Descente de Croix, l'autre la Résurrection.
Au-dessus de ces deux panneaux, deux anges à demi-couchés devaient soutenir des guirlandes de fleurs reliées à des vases qui ont disparu. Le tabernacle est coiffé d'un dôme à trois faces qui sont décorées de panneaux sculptés : au centre, l'institution de la Sainte Eucharistie ; à droite, Moïse dans le désert conduisant les Hébreux vers la manne et à l'eau du rocher ; à gauche, un ange apportant un pain miraculeux au prophète Elie.
Cette très belle oeuvre en bois doré date de la dernière moitié du 17ème siècle.
Le sanctuaire de l'église est éclairé de cinq fenêtres ogivales, dont quatre sont illustrées, tel un "catéchisme en images" par des scènes de la vie de Jésus.
La Première Fenêtre, à gauche, illustre les scènes de l'Enfance de Jésus : la naissance à Béthléem, l'adoration des Mages, le Massacre des Saint-Innocents devant Hérode en costume d'apparat, la Fuite en Egypte, la Présentation au Temple, l'Enfant Jésus au milieu des docteurs de la Loi.
Dans le haut du vitrail, surpris dans leur sommeil, les bergers apprennent la naissance du Sauveur par une étoile miraculeuse.
La Deuxième Fenêtre, qui comporte six panneaux, raconte les scènes de la Passion, les baisers de Judas, Pilate se lavant les mains, le portement de croix, la Cène où l'on aperçoit Judas tenant une bourse, la prière de Jésus au Jardin des Oliviers près des apôtres endormis, la famille du donateur du vitrail, accompagnée de St-Pierre, le patron du chef de famille.
La Troisième Fenêtre est consacrée au crucifiement de Jésus-Christ. A sa droite se trouve le Bon Larron dont l'âme du mauvais larron est emportée au ciel par un ange. A sa gauche, l'âme du mauvais larron est emportée aux enfers par un diable. Au-dessus de la tête du Christ, un pélican se déchire les entrailles pour nourrir ses petits, image du Sauveur donnant son sang pour la vie des hommes.
Au pied de la Croix se tiennent des soldats, des cavaliers, la Vierge Marie, St-Jean et Marie-Madeleine.
La Quatrième Fenêtre, à l'origine, était réservée entièrement à la Résurrection de Jésus, mais à la suite d'un accident, les vides furent garnis par des emprunts aux fenêtres du transept. De cet insolite assemblage est né un désordre inévitable. L'intérêt, cependant, demeure intact pour chacun de ces panneaux que nous énumérons maintenant :
Dans le lobe supérieur de la verrière, c'est le Christ à table avec les disciples d'Emmaüs. Puis, successivement : descente de Jésus ressuscité aux limbes - sa visite à sa Mère - les Saintes Femmes au tombeau avec leurs aromates, St-Louis, Roi de France, tenant à la main droite le spectre de la justice et dans la main gauche une couronne d'épines, un roi de France en grand costume de cour, St-Etienne tenant l'Evangile et la palme des martyrs, St-Michel avec sa cuirasse et portant un glaive et un bouclier.
Le dernier panneau du vitrail est particulièrement intéressant. Il représente quatre pairs laïques assistant à la cérémonie du sacre d'un Roi de France.
Ce sont : le duc d'Aquitaine, le compte de Flandre, le compte de Champagne, et le compte de Toulouse, qui portent un étendard à trois fleurs de lis d'or. Ces hauts personnages sont reconnaissables à leur blason placé au-dessus de leur tête. A leur droite on reconnaît St-Jean-Baptiste, patron du donateur du vitrail dont il ne reste que les fragments venant d'être mentionnés.
Au-dessous, il s'agit d'une donatrice accompagnée de sa fille, qui a offert le vitrail de la Résurrection.
Malgré ces assemblage disparate et fragmentaire de deux vitraux réunis en un seul, on est saisi par l'éclat des couleurs et la somptuosité des vêtements.
Edifice classé, l'église St-Pierre et St-Paul a fait l'objet de nombreuses restaurations, dont les plus récentes figurent la réparation de la cloche principale, la réfection des sols de la nef et de la croisée du transept en 1994, remise en état du mobilier et des installations électriques en 1995.
Saint-Aventin dont le nom rappelle le souvenir au pieux ermite qui habita ces lieux au VIeme siècle et y serait mort en 537 fut rattaché à Verrières également en février 1795.
La Chapelle de Saint-Aventin abrite une cloche fondue en 1810 et est classée monument historique.
Un cimetière mérovingien fut découvert en avril 1849 par des ouvriers employés à l'élargissement de la route qui rejoint Maisons-Blanches à la route impériale n°19, au lieu dit "pré-janvier", en direction de Daudes.
D'après une très ancienne tradition, une ville importante aurait existé dans cette contrée, mais aucune preuve sérieuse n'est venue confirmer ces rumeurs.
Administrativement, l'église de Verrières est l'âinée de la chapelle depuis que la petite agglomération de St-Aventin, faite d'une trentaine de maisons, est devenue hameau de la commun et annexe de la paroisse.
De bonne grâve et avec une souriante modestie, la chapelle se contente d'un rôle de soeur cadette qui ne fait qu'ajouter à son charme et à son attrait.
C'est peut-être pour mieux abriter les précieuses reliques de St Aventin qu'elle a préféré le retrait hors de la route et se réfugier dans le recueillement et la discrétion de la verdure.
Il semble aussi que les tombes du paisible cimetière qui enserre ses murailles montent une garde silencieuse et protectrice autour du trésor insigne qu'elle recèle dans ses flancs.
A l'entrée, une crois de fer forgé, elevée sur un piédestal de pierre, porte une inscription qui reflète la paix :
"Beati qui in Domino moriuntur". Bienheureux ceux qui meurent dans le Seigneur...
Ici rien n'est triste...
Cette croix, érigée aux frais de la fabrique, fut solennellement bénie à l'issue des vêpres, le 8 février 1874 par M. l'abbé Baveux, alors curé de Verrières et de Saint-Aventin. C'était un dimanche et très précisément celui de la solennité de la fête du Saint ermite, patron de la petite paroisse.
Ici encore, tout est simple et sans recherche inutile, aimable de modération, sans prétention aucune, ni maniéré, j'allais dire plutôt rustique, mais d'une rusticité dont la robustesse ne parvient pas à exclure une élégance de bon aloi, sobre et sûre d'elle-même, comme il est de mise à la campagne, chez des gens bien élévés et pétris de bon sens.
Pour vous en convaincre, je vous invite à pénétrer dans la chapelle que précère un porche trapu du 12ème siècle, digne contemporain de celui qui est la fierté de l'église de Moussey. Si vous aviez le loisir de venir, la nuit tombée, une lumière dorée dispensée par deux invisibles projecteurs, vous ferait ressortir les nobles ouvertures en plein cintre de ce vieux porche conçu dans le meilleur style d'architecture romane.
Couvert de vieilles tuiles brunâtres, il occupe toute la largeur du mur occidental de l'entrée.
Au-dessus des combles de la nef, s'élève un gracieux et fin clocher qui abrite une cloche fondue en 1810 par Jean-Baptiste Cochois.
Pour pénétrer dans le vestibule, on descend une marche, vestige d'une pierre tombale portant un fragment de l'épitaphe d'un ancien procureur discal du lieu.
Le plan de l'édifice dessine un simple rectangle avec, au nord du sanctuaire, une sacristie en saillie, dont l'intérieur fut naguère entièrement rénové grâve à la généreuse initiative de Mme et M. le Docteur Richer, de Clérey.
A droite en entrant se trouve la cuve baptismale qui repose sur un faisceau de colonenettes dans le style du 13ème siècle.
La nef est éclairée par quatre fenêtres ogivales qui subirent des restaurations aux 17ème et 19ème siècles.
Entre les deux fenêtres septentrionales, une colonne supporte une belle statue de Notre-Dame de Pitié.
La seconde fenêtre septentrionale possède un remarquable vitrail (daté de 1557) qui représente la Dormition de la Vierge. Autour d'elle, en prière, sont réunis les apôtres. L'un d'eux, agenouillé, tient son rosaire. Un autre, assis par terre, lit les Saintes Ecritures. St-Pierre remet un cierge allumé entre les mains de la Vierge. St-Jean porte une branche de palmier. Suivant la légende, au moment où Marie rendit le dernier soupir, ce rameau répandit une vive clarté et ses feuilles scintillèrent comme l'étoile du matin. L'âme de la Vierge, sous la forme d'une figurine nue, monte au ciel, emportée par les séraphins jusqu'au trône céleste. Dieu le Père apparaît dans le ciel et la bénit.
Les donateurs sont représentés au bas du vitrail : Pierre et Guillaume Millon, père et fils ou peut-être les deux frères. Devant leur prie-dieu, sur lequel est placé leur livre d'heures, ils sont tous deux en prière.
La seconde fenêtre méridionale est garnie d'un vitrail représentant la scène de l'Annonciation. Au-dessous, une petite piscine du 16ème siècle prouve qu'à cette époque était dressé là un autel consacré à la Vierge.
Le choeur s'ouvre sous un plein cintre du 12ème siècle.
On remarque à la base de départ de cet arc, une colonnette du 16ème siècle avec un vestige de nervure. Il est probable qu'autrefois, le choeur et le sanctuaire étaient voûtés. Toute cette partie de l'édifice est plafonnée, ainsi que la nef.
L'unique fenêtre qui éclaire le choeur, côté sud, est fermée par une verrière en grisaille qui représente un prêtre portant une aumusse sur le bras. Il est accompagné de l'archange Saint-Michel, son patron qui montre l'image de la Vierge Mère placée devant lui. De sa bouche se déroule une banderole sur laquelle est inscrite la prière de l'Ave Maria.
Dans l'ogive de cete fenêtre, on voit des anges environnés de nuages.
La sacristie garde une précieuse monstrance, petit reliquaire en cuivre doré qui renferme une partie d'os de la clavicule de Saint-Aventin et un morceau de son suaire. Au mur du sanctuaire, à droite, est adossée une statue de Saint-Sébastien, à gauche une Vierge Mère du 16ème siècle.
La fenêtre, côté midi, est fermée par une verrière aux riches coloris qui représente le Christ en croix, au pied de laquelle se trouvent la Vierge et l'apôtre Saint-Jean. Au bas de ce vitrail, est reproduit le blason de la famille Péricard : d'or au chevron d'azur accompagné en pointe d'une ancre de sable, au chef également d'azur chargé de trois molettes d'or.
L'autel en bois est surmonté d'un tabernacle sur la porte duquel se détache un calice. A droite, en retour, un saint Jean-Baptiste et un saint André.
Le retable est décoré d'une peinture du 18ème siècle représentant Saint-Aventin qui distribue des secours aux malheureux.
A droite de l'autel, une statue de Saint-Aventin, oeuvre du 13ème siècle, est remarquable par la noble simplicité de son exécution. Le saint ermite, un évangéliaire à la main gauche, tient dans sa main droite la patte que lui tend l'ours légendaire auquel il retira une épine qui l'avait blessé.
A gauche de l'autel, une Vierge Mère, fine et gracieuse statue du 16ème siècle, porte l'Enfant Jésus sur son bras gauche et ses pieds sont posés sur un croissant de lune.
Dans les ramures des grands arbres du voisinage, les chants d'oiseaux ne parviennent pas à trouvler le calme et le recueillement qui sont l'apanage de la chapelle.
Lieu propice à l'inspiration, il arrive qu'un peintre, épris de solitude, vienne planter son chevalet devant la silhouette avenante et familière de la petite église.
En été, un champ de blé ondule jusqu'au chevet du sanctuaire, comme si la vie secrète et profonde de la terre, sanctifiée au 6ème siècle par le disciple de Saint-Loup, voulait prolonger la silencieuse et féconde présence de l'ermite Aventin...
Que savons-nous de celui dont la chapelle fut bâtie pour perpétuer le souvenir de son ermitage et de sa priante solitude dans le voisinage des bords de Seine, non loin de Verrières, au hameau qui porte son nom?
Il y a l'Histoire, puis la Légende qui plus tard viendra greffer sur elle des rameaux fleuris.
L'Histoire obéit à des exigences qui se manifestent par des documents indiscutables ou des témoignages dûment contrôlables grâve à des sources authentiques. Elle réclame rigueur et précision.
La Légende, elle, est en quelque sorte la fille romanesque de l'Histoire, non certes qu'elle fasse fi de sa mère dont elle est issue. Mais elle se plaît, précisément parce qu'elle est une fille aimante, à l'embellir...
En cela, elle répond au désir inné du "merveilleux" qui est aussi vieux que l'Humanité. Elle cherche volontiers à retrouver ce que l'Histoire a égaré dans la nuit des temps. On ne saurait lui reprocher les élégantes enluminures qu'elle dessine sur la toile de fond des évènements, non plus que les fines broderies de dentelle dont elle orne la trame du passé...
Que nous précise l'Histoire, à propos d'Aventin ?
Pour répondre à la question, je ne saurais mieux faire que de m'en référer à l'historien distingué qu'est Mgr. Roserot de Melin. Ce qu'il a consigné dans son ouvrage "Le Diocèse de Troyes, des origines à nos jours", rassemble dans un condensé précis les sources les plus sûres :
"Le grand fait religieux qui s'étend du 6ème au 10ème siècle, fut l'apparition, dans notre diocèse, de la vie monastique sous sa double forme érémitique et cénobitique.
Au groupe des ermites, appartient cet Aventin, venu des environs de Bourges et que Grégoire de Tours (538-594) nous dit avoir été le disciple de Saint-Loup, ce qui nous garantit la qualité de sa formation première. On sait en effet que si l'évêque de Troyes, en 451, s'était rendu célèbre en sauvant sa ville épiscopale menacée par les hordes d'Attila, il n'avait pas attendu ces évènements dramatiques pour exercer son zèle pastoral et très particulièrement pour songer à la formation de son clergé. Aux abords de la ville, près d'une chapelle qu'on appellera Notre-Dame-hors-des-murs, à l'endroit où, par une coïncidence qui vaut d'être relevée, notre grand séminaire sera rétabli de 1906 à 1943, il avait organisé un véritable séminaire avant la lettre.
Il y groupe les meilleurs de ses clercs. De là, sortirent Camélien, son futur successeur sur le siège épiscopal de Troyes, Mesmin, celui des diacres qu'il députa au-devant d'Attila, Aventin, le sage administrateur des biens de l'Eglise sous l'épiscopat de Camélien, avant d'être l'ermite des environs de Verrières, et bien d'autres sujets d'élite.
D'après d'autres sources, mais elles peuvent se concilier avec celle précitée de Grégoire de Tours, c'est l'évêque Camélien qui aurait distingué Aventin pour en faire un administrateur temporel de son évêché. Cet emploi ne donnant pas à l'âme d'Aventin toutes les possibilités spirituelles qu'elle souhaitait, son saint évêque lui permit de se retirer dans la solitude. Il la trouva près de Verrières, là où s'élève la vieillotte et très charmante église qui porte son nom, et y serait mort vers 537."
Pour compléter ces précieux renseignements, signalons un épisode qui ne peut être passé sous silence.
C'est au temps où Camélien est évêque de Troyes que Sainte Geneviève vint chercher du secours en Champagne. Paris, en effet, alors assiégé par Childeric (481 ou 482), était réduit à la famine. Cette démarche de la sainte en notre région s'explique aisément si l'on se souvient que Saint-Loup, en 429, lors d'un voyage qu'il fit en la grande Bretagne en compagnie de l'évêque Saint-Germain d'Auxerre, rencontra à Nanterre, près de Paris, une jeune enfant, Geneviève, qu'il consacra à la virginité. On comprend que la sainte Protectrice de Paris viendra tout naturellement plus tard solliciter l'aide des Champenois, sous lépiscopat du successeur de celui qui fut à l'origine de sa vocation religieuse.
Camélien a-t-il accueilli la Sainte à cette occasion ? On peut raisonnablement le penser, car ce voyage dans notre région est relaté dans la vie de Sainte Geneviève dont on sait avec certitude qu'elle est venue chercher du blé à Arcis-sur-Aube pour les parisiens affamés.
N'est-elle pas allée plus loin qu'à Arcis-sur-Aube, comme on l'assure ? Une chapelle, qui lui est dédiée à un kilomètre de Chapelle-Vallon, conserve du moins la tradition de son passage à cet endroit. Et Chapelle-Vallon est à 15 kilomètres au sud d'Arcis, en direction de Troyes.
Il existe donc une possibilité pour ne pas dire une probabilité que Geneviève ait rencontré l'évêque de Troyes et qu'elle ait fait appel à sa charité en faveur de ses malheureux compatriotes de Lutèce.
Dans cette conjecture, l'importance et les modalités des secours accordés par l'évêque auraient été réglés et mis au point par Aventin lui-même, puisqu'il était, comme on l'a dit, l'administrateur temporel de l'évêché. Des initiatives de ce genre s'inscrivent logiquement dans le cadre des responsabilités dont il avait la charge.
En conclusion, est-il permis d'avancer l'hypothèse que Saint-Aventin ait connu Sainte Geneviève ? Si l'Histoire ne l'écrit pas expressément, il n'est pas défendu, parfois, d'essayer de lire entre ses lignes, avec bien entendu toutes les réserves qui s'imposent.
Tentons de répondre à une autre question non moins intéressante : à quelle époque peut-on situer l'origine de la dévotion à Saint-Aventin ?
Mgr. Roserot de Melin nous apporte la réponse, à propos d'une église construite à Troyes, en l'honneur du saint ermite :
"Dans le voisinage de la cathédrale de Troyes, en dehors toutefois des mirs de la cité, l'évêque Vincent (vers 546), deuxième successeur de Saint-Loup, passe pour avoir bâti, en 540, une église sous le vocable de St-Aventin. Mais celui-ci ne serait mort qu'en 537 ou même 540 et l'évêque Vincent vers 546. Ces dates rendent assez problématique la construction d'une église dès cette époque. En revanche, nous savons que l'évêque Prudence (861) a prêché un jour de Vendredi-Saint en cette église.
On ne se tromperait vraisemblablement pas en admettant son existence dès le 7ème siècle."
Cette église St-Aventin de Troyes qui disparaîtra en 1795 sous la pie des démolisseurs, fut donc l'une des plus anciennes de la ville et le témoignage le plus vénérable du culte rendu au pieux ermite.
On ne saurait dire comment, ni à quelle époque les reliques de Saint-Aventin passère à la collégiale St-Etienne. Ce qui paraît probable, c'est qu'au 13ème siècle, elles n'étaient déjà plus à l'église St-Aventin.
En 1605, pour la première fois, des ossements furent détachés du corps de Saint-Aventin. C'était en faveur des habitants de Creney qui l'avaient choisi pour patron de leur paroisse et qui demandaient avec insistance du Chapitre de la collégiale St-Etienne quelques reliques du saint ermite. Le dimanche 20 novembre de cette année 1605, Louis Robin, curé de Creney vint en procession recevoir la relique et la transporter solennellement dans sa paroisse.
Un siècle s'écoula et le vendredi 21 mai 1723, on ouvrir encore la châsse de Saint-Aventin, en présence de Jacques-Bégnigne Bossuet, évêque de Troyes. Le prélat prit un os de l'avant-bras pour l'envoyer au cardinal Gualterie, résidant à Rome. Ce haut dignitaire de l'Eglise avait bâti une chapelle sur le mont Aventin et désirait y placer une relique de l'ermite de Troyes.
Six ans plus tard, sur les instances de Monsieur de la Force, seigneur de St-Aventin-sous-Verrières, la petite paroisse où vécut l'ermite fut dotée, elle aussi, d'une relique que Monseigneur Bossuet vint exposer lui-même à la vénération des fidèles, le 9 septembre 1729.
Ainsi, jusqu'au XVIIIème siècle, la chapelle édifiée sur les lieux autrefois sanctifiés par le saint Ermite, n'avait jamais possédé aucune relique de son Patron.
A Troyes, les chanoines de l'église collégiale de St-Etienne gardaient jalousement, dans une châsse, les restes de Saint-Aventin.
Cependant, les habitants du village et ceux de toute la réfion entretenaient une profonde dévotion envers celui qu'ils considéraient comme leur Protecteur. On venait souvent péleriner à la chapelle qui perpétuait sont souvenir à travers les âges. On priait avec ferveur le puissant thaumaturge. A la fontaine voisine, on allait boire l'eau miraculeuse, qui guérissait tous les maux. Et chacun de regretter amèrement qu'il n'y eût aucune relique à vénérer...
Le seigneur de la paroisse s'émut d'une telle carence et résolut d'y mettre fin. De quelle manière ? Le document reproduit ci-dessous, dont l'original est conservé aux archives de l'Evêché de Troyes, l'apprendra :
"Jacques-Bégnigne Bossuet (neveu de l'Evêque de Meaux, il fut évêque de Troyes de 1718 à 1742), par la permission divine, Evêque de Troyes, à tous présents et à venir, salut. Savoir faisons, qu'au cours de la visite par Nous faite dans l'église de Saint-Aventin-les-Verrières en Notre Diocèse, le 9 septembre 1729, le sieur Philippe de la Force, Ingénieur de sa Majesté en la qualité de Champagne et Seigneur de la dite Paroisse de St-Aventin, Nous aurait représenté que la singulière dévotion des habitants de la dite Paroisse et même des lieux circonvoisins envers Saint-Aventin, patron de la dite Paroisse, l'aurait porté à faire tous ses efforts pour leur en procurer les reliques, et, comme il aurait appris qu'à l'ouverture que Nous avons faite le 22 mai 1723 de la châsse de Saint-Aventin, en présence de Nos Vicaires Généraux et du Chapitre de l'église collégiale de St-Etienne de Troyes où repose le corps du dit Saint, Nous avions fait présent d'un fragment des dites reliques à la vénérable et discrète personne Monsieur Jean Philippe, prêtre, licencié en théologie de la Factulté de Paris, chanoine et doyen de Notre église cathédrale et l'un de Nos civaires généraux, il aurait été prié le dit sieur Philippe de lui accorder les dites reliques en faveur de l'église paroissiale du dit lieu St-Aventin et, les ayant obtenues, il aurait fait faire à ses dépens une petite châsse propre de bois doré pour les y renfermer, Nous suppliant très humblement qu'il Nous plût d'en faire Nous-même la cérémonie, ce que Nous lui aurions volontiers accordé.
Et à l'instant, Nous étant fait représenter les dites reliques, Nous les aurions trouvé enveloppées, liées d'un ruban de soie rouge et cachetées du sceau de Nos armes, sain et entier et au même état que Nous les avions données au dit Philippe, et les ayant renfermées dans la châsse qui avait été préparée à cet effet, Nous aurions scellé la dite châsse du seau de nos armes ; et ensuite, étant sorti de la Maison Seigneuriale où Nous étions descendu pour y prendre Nos habits d'Eglise, et précédé du clergé de la dite Paroisse qui était venu Nous y chercher, nous serions allé, portant Nous-même la dite châsse processionnellement à l'église paroissiale où étant arrivé, Nous aurions exposé les dites Reliques à la vénération des fidèles et aurions exposé les dites Reliques à la vénération des fidèles et aurions ordonné qu'on fera à l'avenir chaque année la Fête de la Nativité de la Sainte-Vierge, dont et de tout ce que dessus Nous avons fait dresser le présent procès-verbal pour servir ce que de raison, fait au dit lieu de St-Aventin, les jours et an susdits."
Ce dut être une émouvante et grandiose cérémonie que cette Translation des reliques du bon Aventin qui, 12 siècles plus tard, revenait trimphalement reprendre possession des lieux qu'il avait sanctifiés par sa prière, ses miracles, ses jeûnes et sa mort édifiante...
Je vous laisse imaginer l'éclat d'une telle journée : les fastes de la procession depuis le château de Monsieur de la Force, jusqu'à la chapelle, les chanoines et tout le clergé entourant Sa Grandeur Monseigneur Jacques-Bégnigne Bossuet portant la châsse dorée, la théorie des enfants de choeur, les bannières, les hymnes et les psaumes chantés en choeur par la foule des villageois de St-Aventin et ceux de Verrières, de Daudes, de Saint-Martin et de Clérey accourus pour acclamer leur Saint Protecteur, revenu chez lui, et faire monter vers le ciel leurs cantiques d'action de grâces.
Ce que l'Histoire n'a pas cru devoir retenur, la légende, elle va satisfaire notre curiosité en s'appuyant d'ailleurs sur des réalités qui n'ont rien d'invraisemblables.
J'ai consulté le dictionnaire Larousse au mot Légende qui porte la définition : "Récit où l'histoire est défigurée par les traditions". Mon propos, certes, n'est pas de polémiquer, encore moins de jouer sur les mots, mais de dissiper peut-être un malentendu. Il convient, en effet, de préciser que la tradition est la transmission orale d'un évènement, pendant un long espace de temps, suppléant ainsi à l'absence d'un authentique document. Sans aucun doute, le risque est grand que des altérations viennent peu à peu modifier, voire déformer l'évènement lui-même. Ceci étant entendu, il n'en reste pas moins qu'une tradition garde, pour l'essentiel, sa valeur, ne serait(ce que par son caractère vénérable d'ancienneté qui relie le passé au présent.
Il en est des légendes, comme des greffes... Le sujet fournit la vigueur, cependant que le greffon apporte ses caractères qui, loin d'enlaidir ou de défigurer, embellissent l'arbrisseau d'origine...
En ce qui concerne Saint-Aventin, je ne pense pas que ce qui va suivre trahira son visage, mais nous aidera au contraire à restituer, avec tous les signes de vraisemblance, les traits les plus caractéristiques de son attachante physionomie. Il est des portraits dont l'expression peut se traduire autrement que par la technique rigoureuse de la photographie, même quand celle-ci est un art...
Essayons-nous donc à peindre celui d'Aventin, en utilisant les pinceaux et la palette de la tradition.
La vie contemplative, à laquelle les mystérieux desseins d'en-Haut ont convié le saint ermite, exige d'abord un cadre adéquat où elle puisse librement s'épanouir. Pour ce faire, Aventin recherche une solitude où rien ne viendra la distraire inutilement. Il la trouve à quelques lieues de l'agitation et des bruits de la ville, non loin des bords de Seine.
Pour répondre totalement à l'irrésistible "Appel du Silence" qui a retenti dans les profondeurs de son âme, il fixe son rustique ermitage au coeur d'une épaisse forêt, près d'un point d'eau, nécessaire d'une nécessité absolue, même à celui qui n'est assoiffé que de la présence de Dieu. La vie mystique n'est jamais déraisonnable et n'exclut pas le réalisme du bon sens...
A quelques pas de l'actuelle chapelle, une source existe toujours et une tradition très vénérable nous assure que les vertus du pieux solitaire avaient infusé à son eau limpide et fraîche un pouvoir guérisseur.
Les abondants feuillages d'alentours fourniront une litière suffisante et renouvelable pour le repos des quelques heures consacrées au sommeil.
Le bois mort à portée de la main, dans la clairière voisine, permettra de faire du feu pour tromper les rigueurs de l'hiver, de cuire un frugal repas, ou, à l'occasion d'éloigner quelque bête sauvage, ours ou loup-cervier qui, à cette époque, habitaient les inextricables fourrés de la région.
Les baies, les fruits sauvages, les noisetiers, le miel puisé dans l'infractuosité d'un tronc d'arbre, assureront le minimum indispensable. Pour le reste, de quoi s'inquièter ?
Celui dont le rôle avait été naguère de secourir tant d'infortunes et d'exercer la charité sous toutes ses formes s'en remettait sans plus à la Providence qui, occasionnellement, saurait bien se manifester par le geste charitable d'un bûcheron rencontré dans les bois. Le pain partagé n'est pas mendicité...
Aventin qui avec été enveloppé, en quelque sorte, dans la gangue des responsabilités d'ordre temporel, va désormais réaliser l'expérience inverse en pratiquant volontairement le détachement des soucis de la terre.
Il relègue à leur place les nourritures terrestres pour se rassasier d'un autre Pain... Il va tenter d'incarner ce qui fait l'objet de son active méditation, alimentée chaque jour par la lecture enrichissante de son évangéliaire.
"Ne vous mettez pas en peine pour votre vie de ce que vous mangerez ou boirez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? Voyez les oiseaux du ciels : ils ni sèment ni ne moissonnent, ni ne font provision dans les silos. Cependant, votre Père céleste les nourrit. Et vous, ne valez-vous pas plus qu'eux ? Ne vous mettez donc pas en peine en disant : Qu'aurons-nous à manger ou à boire ? Qu'aurons-nous pour nous vêtir ? Toutes ces choses, les païens s'en préoccupent. Mais toutes ces choses, votre Père céleste sait bien que vous en avez besoin. Cherchez donc premièrement le Royaume de Dieu et sa justice et tout cela vous sera donné par surcroît..."
Nos conforts et nos conformismes sont ici déroutés et violentés...
En regardant la rue et austère existence d'Aventin, en la comparant avec les conditions antérieures d'une situation assurée, un mot montera à nos lèvres, celui de fou, cependant qu'un haussement d'épaules significatif, traduira éloquemment nos sentiments. Si l'ermite pouvait surprendre notre geste, il se contenterait de nous murmurer avec un sourire indulgent que ce qui est folie aux yeux des hommes est sagesse en Dieu...
Que celui qui a des oreilles entende !... Et comprenne qui pourra !...
La vie d'Aventin, quoi qu'on en pense, n'est pas une stérie anomalie. Il y a là un mystère qui surpasse et obnubile les trop courtes vues humaines. Si, pour d'aucuns, ce mystère est insupportable, c'est peut-être parce qu'il est un vivant reproche à d'inoubliables égoïsmes...
L'Histoire, trop discrète à notre gré, ne nous a pas révélé les motifs de la vocation d'Aventin à la solitude, mais la Tradition va s'empresser de nous les dévoiler.
A Troyes donc, jamais les pauvres, les orphelins et les veuves n'avaient été plus heureux que sous son administration. Le nom d'Aventin était dans toutes les bouches, sa louange sur toutes les lèvres. Sa renommée de thaumaturge était devenue universelle. Conscient d'une telle popularité, le sait craignit que la vanité ne se glissât dans son coeur. Il se souvenait du divin exemple de son Maître et Seigneur Jésus-Christ qui, lui-même, après un miracle, était obligé de fuir l'enthousiasme du peuple et de se cacher pour échapper à la foule "qui voulait le faire roi". La célébrité va de pair avec le don des miracles. Ce fut le cas pour Aventin au temps où il était chargé de répartir les aumônes. On s'aperçut rapidement, en effet, qu'il avait le pouvoir de puiser dans les réserves sans que les provisions ne diminuassent pour autant. Bien plus, le vin s'obstinait à conserver le même niveau dans les tonneaux, tant qu'Aventin remplissait les cruches de distribution ! On raconte que son évêque, intrigué, s'en vint avec une baguette vérifier le niveau avant et après chaque opération... Le miracle était patent.
C'est peut-être de cette manière inattendue que Dieu voulait éprouver l'humilité de son serviteur et l'appeler à plus haute vocation... On peut le supposer, puisqu'il advint ce qui devait arriver : l'humble économe de l'Eglise de Troyes rendit sont tablier et préféra prendre la fuite plutôt que de faire figure de thaumaturge. Son saint évêque céda aux instances d'Aventin qui avait pris la résolution irrévocable de se cacher aux yeux des hommes pour en plus vivre que sous le seul regard de Dieu. Camélien lui permit de se retirer sous les murs de la ville, à l'ombre d'une chapelle abandonnée, au lieu même où devait s'édifier plus une église en son honneur. Là, il y bâtit une chaumière et y commença sa vie d'anachorète. Mais bien qu'il ait fuit le monde et les hommes, le monde le recherchait encore dans cette banlieue trop proche. Tant de visites qui l'assaillaient et venaient implorer prodiges et guérisons miraculeuses, lui firent comprendre qu'il n'avait pas encore atteint son but. Il lui fallait s'enfoncer plus loin dans la solitude. Il quitta donc sa cellule et son "tracassin" quotidien, pour s'avancer jusqu'à une dizaine de kilomètres envie de la ville, au-delà de Verrières, dans un lieu tellement désert qu'il pourrait enfin réaliser son face à face avec Dieu, dans l'oraison, le jeûne et la prière.
Chaque soir, au terme d'une journée bien remplie, le saint ermite recommandait son âme à Dieu, avant de s'endormir du sommeil du juste. Or, une certaine nuit, il fut soudainement réveillé par des grognements furieux. A travers les rondins mal équarris de sa cabane, il parvint à distinguer une masse hirsute qui tournait et retournait sur elle-même. C'était un ours énorme qui rôdait à cette heure insolite.
L'étrange comportement et les lamentables gémissements de la bête décidèrent Aventin à entr'ouvrir la porte. Le redoutable fauche, boitant et geignant, s'approcha alors de l'ermite. Il se coucha lourdement à ses pieds, comme un chien docile et lui tendit la patte antérieure droite, fiévreuse et boursoufflée. Aventin la prit sans crainte pour l'examiner et constata qu'elle était transpercée d'une longue et dure épine. Notre secourable ermite n'hésite plus un instant. D'un geste rapide et sûr, il retire l'épine. L'ours sursaute de douleur, mais soulagé du même coup grâve à la charitable initiative de son infirmier improvisé, il lui lèche longuement la main en signe de reconnaissance. A partir de cette heure, le féroce plantigrade ne quittera plus son sauveur. Définitivement apprivoisé par un geste de bonté que son instinct avec sollicité, il deviendra le légendaire compagnon de l'ermite compatissant...
Dans la chapelle du hameau de Saint-Aventin, l'un et l'autre sont encore inséparables.
Diverses sculptures les représentent tous deux, dans un familier et pacifique voisinage.
En 1966, une statuette de bois, image du saint et de son ours, provenant très certainement d'un ancien bâton de confrérie a été retrouvée fort inopinément. Grâce à l'initiative de Monsieur le Maire de Verrières, elle fut restaurée et placée sur une console de chêne, offerte par M. Jacques Moreau, de Clérey. La remise officielle de la statuette par le premier magistrat de la commune fut l'occasion d'une cérémonie simple et amicale, au cours d'une messe dominicale.
Ainsi vont les légendes... Nées de la profondeur de l'Histoire, elles y retournent, de temps à autre, par des chemins imprévus...
L'épisode de l'ours blessé n'est pas le seul où le doux solitaire exerce sur les animaux son mystérieux empire. Ses "actes" nous rapportent qu'une autre fois, une biche poursuivit par des chasseurs vint chercher asile auprès de l'homme de Dieu qui la prit sous sa protection et lui sauva la vie. Près de son feu de bois, les serpernts venaient se chauffer, cependant qu'Aventin s'empressait de remettre à la Seine les poissons qu'on lui apportait de temps à autre pour améluirer ses menus d'ascète...
En pleine nature, au rythme d'une existence débarassée de tout superflu, à l'unisson des étoiles qui chantent la gloire du Créateur, humble compagnon de ses frères les animaux que nous, les "civilisés" nous appelons "bêtes sauvages", l'ermite Aventin avait retrouvé le chemin du "Paradis perdu" et la clé du jardin secret qui ouvre la porte du bonheur...